Adapter les lieux de travail au changement climatique

Pour maintenir des conditions de travail saines et sûres, une action immédiate et sans précédent est nécessaire.

L’été 2024 a enregistré de nouveaux records mondiaux de vagues de chaleur, d’événements climatiques extrêmes et d’incendies de forêt dans des régions extrêmement sèches. D’après « Copernicus », le 22 juillet 2024 a été la journée la plus chaude enregistrée sur Terre dans l’histoire récente, surpassant un record établi la veille. L’Europe est le continent qui se réchauffe le plus rapidement, rapporte l’Agence européenne pour l’environnement. Depuis les années 1980, l’Europe s’est réchauffée à environ deux fois le taux mondial.

Le rapport récemment publié par le Lancet Countdown pour l’Europe démontre que le changement climatique affecte déjà les êtres humains et les sociétés dans leur ensemble. Il se concentre sur les effets néfastes sur la santé, soulignant la nécessité « d’actions rapides de mitigation et d’adaptation climatique réactives pour la santé ». Le lieu de travail est un domaine clé pour ces actions.

Directement affectés

Les lieux de travail sont directement affectés par le changement climatique. La hausse des températures et la multiplication des événements climatiques extrêmes peuvent renforcer les risques physiques et psychosociaux au travail, affectant aussi le bien-être des travailleurs.  Même des températures légèrement plus élevées peuvent affecter les performances cognitives et la prise de décision, ainsi qu’augmenter le risque d’accidents et de blessures liés au travail. Les travailleurs à l’extérieur, les travailleurs en intérieur sans accès à la climatisation et les travailleurs de première ligne sont particulièrement vulnérables, comme le souligne le rapport du Lancet.

Bien que les employeurs soient légalement responsables de la santé et de la sécurité des travailleurs et soient tenus de réaliser des évaluations des risques en vertu de la législation contraignante de l’Union européenne, les représentants du personnel et les syndicats jouent un rôle crucial dans la régulation des dangers au travail. Ils peuvent inciter les employeurs à réduire les dangers sur le lieu de travail, influencer le niveau de supervision réglementaire et éduquer les travailleurs aux risques professionnels.

De plus, les risques émergents ou renforcés liés au changement climatique peuvent être abordés par le biais du dialogue social entre les employeurs et les syndicats au sein du lieu de travail ou au niveau sectoriel. Cela peut impliquer des mesures telles que la réduction du temps consacré à des activités à haute intensité, l’introduction de périodes de repos plus longues ou l’adaptation des horaires de travail.

Évaluations des risques en milieu de travail

Malgré ces possibilités, les employeurs et les syndicats semblent lents à intégrer l’adaptation au changement climatique dans leurs politiques de sécurité et de santé au travail (SST), probablement parce qu’ils considèrent encore les dangers liés au changement climatique comme exceptionnels. Les évaluations obligatoires des risques en milieu de travail — un outil clé pour identifier et atténuer les dangers conformément à la législation de l’UE — sont souvent mises en œuvre de manière inégale, selon les pays, les secteurs et les entreprises de tailles différentes.

Un obstacle majeur, selon l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, réside dans l’idée que les risques professionnels sont déjà bien identifiés. Cela peut être particulièrement dangereux lorsqu’il s’agit du changement climatique, compte tenu de l’ampleur et du caractère cumulatif des changements en cours, qui risquent de devenir encore plus graves à l’avenir.

Des indicateurs spécifiques au niveau des lieux de travail sont nécessaires pour suivre les évolutions et permettre des initiatives d’adaptation sur mesure. Pour élargir la base de connaissances nécessaires à la prise de décision fondée sur des données probantes, des informations provenant des statistiques publiques sont nécessaires. À cette fin, des enquêtes européennes à large échantillon qui recueillent des informations dans divers pays et secteurs pourraient être élargies.

Manque de connaissances détaillées

L’Enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents (ESENER) contient divers éléments sur les évaluations des risques. Ceux-ci pourraient être étendus pour recueillir des informations sur le nombre d’entreprises intégrant des aspects liés au climat.

Bien qu’il soit probable que les évaluations des risques dans des secteurs comme la construction, où le travail en extérieur prédomine, incluent déjà des aspects tels que la chaleur ou l’exposition aux radiations ultraviolettes, nous manquons de connaissances détaillées. Il reste également à voir si ces aspects jouent un rôle dans les lieux de travail où la représentation des employés et la culture de la SST sont plus faibles, en particulier dans les petites entreprises du secteur des services.

Le changement climatique lui-même génère des risques psychosociaux, comme la peur de perdre son emploi ou du moins de devoir effectuer une transition professionnelle, dans un contexte de transformations sectorielles. La question de savoir si les risques ainsi générés sont abordés sur les lieux de travail est également une question empirique ouverte.

L’Enquête européenne sur les conditions de travail (EWCS), qui cible les travailleurs individuels, comprend une question sur « l’exposition à la chaleur » et toute une gamme d’autres éléments sur la santé et la sécurité au travail. Des questions supplémentaires, axées sur la réalisation d’une évaluation des risques ou les actions spécifiques menées pour aborder le changement climatique au sein de leur lieu de travail, fourniraient des informations précieuses. Bien que l’EWCS cible les travailleurs et non les lieux de travail, les informations qu’ils offrent peuvent fournir des indices sur l’engagement des lieux de travail vis-à-vis du changement climatique.

En attendant des indicateurs statistiques et des données précises sur l’impact du changement climatique sur les lieux de travail, la recherche qualitative peut aider à sensibiliser et à identifier des pratiques susceptibles d’être répliquées à grande échelle. Cette recherche devrait se concentrer sur des initiatives concrètes pour adapter les lieux de travail aux nouvelles réalités résultant du changement climatique.

Un travail favorable à la santé

Pour faire face au changement climatique, les chercheurs, les décideurs politiques et les partenaires sociaux doivent se concentrer sur le lieu de travail et les aspects qui y sont liés. C’est le contexte dans lequel les décisions concernant l’organisation du travail sont prises.

Organiser le travail de manière humaine et favorable à la santé en période de changement climatique est crucial. D’une part, cela permet de maintenir les travailleurs en poste malgré les pénuries de main-d’œuvre, ce qui affecte la prospérité économique. D’autre part, cela contribue à prévenir les maladies professionnelles et les départs anticipés à la retraite, au bénéfice de la santé des travailleurs et des systèmes de protection sociale.

Cet article a d’abord été publié sur Social Europe. Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de leurs employeurs.