Impact de la réforme du congé parental 2016 au Luxembourg : une évolution significative de la participation des pères

Introduction

En règle générale, le congé parental offre aux mères et aux pères éligibles à celui-ci la possibilité de prendre du temps pour s’occuper de leurs enfants tout en préservant leur droit de revenir à leur ancien poste. Le congé parental s’inscrit dans le cadre des mesures visant à concilier/équilibrer vie familiale et professionnelle et à atténuer les éventuels effets négatifs de la parentalité sur la carrière professionnelle. Il contribue à promouvoir, entre autres, l’égalité entre les hommes et les femmes dans la répartition des tâches.

Le succès d’un régime de congé parental repose sur l’utilisation qu’en font les intéressés. Le succès et l’efficacité d’une politique de congé parental dépendent de son utilisation parmi la population cible des parents éligibles. Si le taux de prise de congé parmi les parents est inférieur aux attentes, les objectifs de la politique peuvent ne pas être atteints. L’évaluation de la prise de congé parental nous aide à comprendre comment différents segments de la population éligible réagissent à la politique et quels groupes de parents bénéficient le plus de la politique de congé parental (Valentova, 2024 ; Valentova et al., 2022).

Réforme du congé parental en 2016

Au Luxembourg, le congé parental a été introduit en 1999 et réformé en profondeur en 2016. L’accès au congé parental a été facilité et assoupli sur un certain nombre de points. Cette réforme a d’abord rendu le congé parental plus accessible aux parents ayant des contrats de travail moins sécurisés. En effet, alors qu’une année d’emploi continue est toujours requise, elle peut désormais être cumulée avec différents employeurs.

De plus, la durée pendant laquelle le congé peut être pris a été étendue jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de six ans (au lieu de cinq ans), ou douze ans pour un enfant adopté.

Par ailleurs, si les deux parents sont éligibles au congé parental, ils peuvent désormais en bénéficier simultanément.

En outre, le nombre d’alternatives de congé parental est passé de deux à six, comprenant notamment :

  • quatre ou six mois à temps plein ;
  • huit ou douze mois à temps partiel ;
  • huit heures de congé par semaine sur une période de 20 mois ;
  • ou un congé fractionné de quatre mois pendant une période maximale de 20 mois.

Enfin, l’allocation forfaitaire[1] de congé parental a été remplacée par une indemnité liée aux revenus appelé aussi revenu de remplacement (toujours versée par la sécurité sociale). En 2022, une personne travaillant à temps plein et prenant un congé parental à temps plein recevait un paiement brut compris entre 2 508,24 euros et 4 180,39 euros par mois pendant la période de congé, en fonction de ses revenus avant le congé (Berger et al., 2023).

Effet de la réforme de 2016 sur le recours au congé parental – la focalisation sur les pères

Des études et recherches menées par des chercheurs du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) ont analysé l’impact de la réforme du congé parental sur son recours. Celles-ci révèlent que la réforme a conduit à une augmentation significative du recours au congé parental, notamment parmi les pères, marquant ainsi une évolution sans précédent dans ce domaine.

Les résultats du rapport « Évaluation intermédiaire des résultats de la réforme du congé parental de 2016 » financé par le Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région (Valentova et al. 2020) mettent en lumière une différence significative des taux de recours au congé parental entre les mères et les pères, avec une proportion beaucoup plus faible chez les pères dans les 12 mois suivant la naissance de l’enfant. Avant la réforme de 2016, quel que soit le pays de résidence, les mères affichaient des taux de recours dépassant les 79% ; les résidentes allemandes étant en tête avec un taux de 94,3%. Pour les pères, ce taux stagnait autour de 8%, qu’ils soient résidents luxembourgeois, français, belges ou allemands. Cependant, pour ces derniers, les taux de recours ont connu une augmentation significative suite à la réforme de 2016. En effet, les taux de recours au congé parental pour les pères d’enfants nés en 2016 et en janvier et février 2017 sont passés à 17% pour les pères résidant au Luxembourg, à 24,1% chez les Allemands, à 19,7% pour les Français et à 15,3% pour les Belges. Du côté des mères, les taux de recours étant déjà très élevés pour les frontalières, la réforme a surtout eu un impact pour les mères résidentes du Luxembourg dont le taux est passé de 78,6% pour celles d’enfants nés en 2015 à 87,4% pour celles d’enfants nés en janvier et février 2017.

Il convient de noter que l’analyse du recours au congé parental des pères dans les 12 mois suivant la naissance de l’enfant, surtout après la réforme, peut ne pas refléter leur comportement global, car ils optent plus fréquemment pour le deuxième congé parental dans le couple, auquel ils peuvent recourir jusqu’aux 6 ans de l’enfant. Par conséquent, il est très probable que l’effet final de la réforme (effet global pour la période de 6 ans) sur la prise de congé des pères soit encore plus élevé.

Les effets différents parmi les groupes des pères

Une autre recherche réalisée par le LISER (Uzunalioglu et al., 2021 ; Uzunalioglu et al., forthcoming) a examiné l’impact de la réforme du congé parental au Luxembourg en 2016 sur les comportements de prise de congé parental des hommes qui deviennent pères pour la première fois[2]. La période d’analyse couvre 18 mois après la naissance, mesurant l’impact immédiat de la réforme. Les analyses ont révélé une augmentation moyenne de 20 % de la prise de congé parental par ces nouveaux pères (néopères). Toutefois, cette augmentation varie selon les groupes de néopères, en fonction de leur revenu, de leur situation familiale et de leurs caractéristiques professionnelles.

Pour étudier la manière dont la réforme a affecté la prise de congé parental en fonction du revenu, les chercheurs ont divisé les participants en cinq groupes (Q1-20% des nouveaux pères les moins aisés et Q5-20% des nouveaux pères les plus aisés) en fonction de leur salaire. Les résultats montrent que les changements les plus significatifs ont eu lieu parmi les nouveaux pères situés des groupes de revenus moyens et inférieurs. Plus précisément, la prise de congé parental a augmenté de 27% pour les pères du groupe de revenu médian (Q3) et de 23% pour le groupe des pères les moins aisés (Q1). A contrario, l’augmentation était seulement de 9% pour le groupe de revenu le plus élevé (Q5). La réforme a donc eu un impact plus important sur la prise de congé parental chez les nouveaux pères avec des revenus moyens ou plus faibles, par rapport à ceux avec des revenus élevés ; suggérant que pour ces groupes, la réforme a réduit ou éliminé la perte de revenu grâce à une rémunération accrue.

L’étude a également révélé que lorsque les partenaires de ces néopères disposaient d’une plus grande capacité financière, leur prise de congé parental augmentait de 21 % contre 17% pour les nouveaux pères disposant du plus grand pouvoir financier dans le couple.

En comparant selon les temps de travail des partenaires, dans les ménages où les deux parents travaillaient le même nombre d’heures, la prise de congé parental des pères augmentait de 20% après la réforme. En revanche, lorsque les néopères travaillaient plus d’heures que les mères, cette augmentation est de 13 %. La moindre augmentation du taux de recours de ces pères pourrait s’expliquer par le fait qu’ils sont vus comme les principaux pourvoyeurs de revenus du ménage en travaillant plus d’heures.

Enfin, les nouveaux pères travaillant dans les entreprises de moins de 50 salariés ont vu augmenter leur taux de recours au congé parental de 25% contre moins de 16% pour ceux travaillant dans des grandes entreprises (250 salariés et plus).

Future(s) recherche(s)

Les analyses ont mis en évidence une augmentation significative de la prise de congé parental par les pères après la réforme du congé parental en 2016. Le principal facteur à l’origine de cette augmentation était le changement dans le calcul de l’indemnisation lors de la prise du congé parental. Ce changement tendait à augmenter la compensation financière lors de la prise de congé, ce qui a probablement encouragé davantage de pères à opter pour ce type de congé. Les nouveaux types de congés, plus flexibles, sont probablement un autre facteur explicatif de cette tendance.

Des recherches supplémentaires seront nécessaires, dès lors que les données seront disponibles, afin d’explorer l’impact de la réforme de la politique de décembre 2016, qui a considérablement accru la flexibilité d’utilisation du congé parental, sur le comportement global de prise de congé parental. Plus précisément, cela inclurait une/des analyse(s) sur toute la période pendant laquelle les parents éligibles peuvent utiliser le congé parental, pouvant aller jusqu’à 6 ans suivant la naissance de l’enfant. Les futures recherches bénéficieront d’une période d’observation plus longue, au-delà des 18 premiers mois, ce qui permettra d’explorer de manière plus approfondie les impacts à long terme de la réforme du congé parental de 2016 et le potentiel transformateur des changements comportementaux induits par les politiques sur les générations futures de parents, les familles et les lieux de travail.

Liste des références :

Uzunalioglu, M., Valentova, M., O’Brien, M. (forthcoming) First-time Fathers’ Parental Leave Take-up: New Causal Evidence on the Interplay between Policy, Workplace and Household.

Valentova, M. (2024) How Do Parents Care Together? Dyadic Parental Leave Take-up Strategies, Wages and Workplace Characteristics. Work, Employment and Society. https://doi.org/10.1177/09500170241229281

Berger, F., Salagean, I., Valentova, M. (2023) ‘Luxembourg country note’, in Blum, S., Dobrotić, I., Kaufmann, G., Koslowski, A. and Moss, P. (eds.) International Review of Leave Policies and Research 2022. Available at: https://www.leavenetwork.org/annual-review-reports/

Valentova, M., Amjahad, A., Genevois, A.S. (2022) Parental Leave Take-up and its Intensity. Do Partners’ Workplace Characteristics Matter?, Journal of Social Policy, 1-23. Available at: https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-social-policy/article/parental-leave-takeup-and-its-intensity-do-partners-workplace-characteristics-matter/E69BEA3B045F5D9C4C8DFC7701FE51DF

Uzunalioglu, M., Valentova, M., O’Brien, M., & Genevois, A. S. (2021). When does expanded eligibility translate into increased take-up? An examination of parental leave policy in Luxembourg. Social Inclusion, 9(2), 350-363.  Available at: https://www.ssoar.info/ssoar/handle/document/78334

Valentova, M., Amjahad, A., Genevois, A.S., Leduc, K., Maas, R. (2020) L’évaluation Court-terme des résultats de la réforme du congé parental de 2016. Rapport financé par le Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région.


1. Cette allocation forfaitaire s’élevait à 1.778,31€ par mois pour le congé parental à plein temps et à 889,15€ par mois pour le congé parental à temps partiel.

2. La population étudiée ici est constituée des hommes qui deviennent pères pour la première fois et admissibles au congé parental, ce qui représente un sous-groupe spécifique de pères. Par conséquent, les résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble de la population des pères admissibles au congé parental.