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Cet article vise à alimenter et stimuler le débat politique et sociétal sur l’imposition équitable des plus-values et des rentes foncières. L’introduction offre un panorama de la structure du marché du foncier constructible et de ses conséquences socio-économiques souvent néfastes. La deuxième partie analyse les différentes raisons pour lesquelles le foncier constructible est un bien qui mérite un traitement fiscal particulier et dont la fiscalité devrait être réformée en profondeur le plus rapidement possible. La dernière partie propose plusieurs mesures pour baisser de manière progressive la rente foncière à un niveau économiquement efficace et socialement acceptable.
La spéculation et la rétention foncières au Luxembourg
Dans le contexte de la crise du logement, et plus particulièrement depuis le ralentissement important de l’activité dans le secteur de la construction résidentielle, dû entre autres à une politique monétaire moins accommodante et à l’envolée des prix de la construction, les différents représentants du secteur se livrent à une surenchère d’appels politiques censés relancer le marché.
Leurs revendications, souvent couronnées de succès[1], se focalisent généralement sur la simplification des procédures administratives et environnementales ou sur le subventionnement étatique de bénéfices privés par des aides financières qui pèsent lourdement sur les finances publiques.
Cependant, au lieu de promouvoir la financiarisation accentuée du marché de l’immobilier résidentiel – lui-même vecteur de la crise du logement – par des subventions publiques coûteuses, régressives et généralement inefficaces, dont profitent en premier lieu les promoteurs et les multi-propriétaires, il serait préférable de s’attaquer enfin à la racine du problème : la raréfaction artificielle de terrains à bâtir, provoquée à dessein par un cercle exclusif de propriétaires fonciers.
L’accès restreint au foncier constructible : barrière primaire à la dynamisation de la production de logements
Hormis le récent revirement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), qui a entraîné une chute des investissements privés dans l’immobilier résidentiel et, par conséquent, de la production de logements à court et moyen terme, nous constatons que l’activité enregistrée en amont du choc inflationniste et du resserrement de la politique monétaire était déjà largement insuffisante face à l’augmentation du nombre de ménages.
En effet, malgré le contexte fiscal extrêmement favorable qui régnait tout au long de la décennie précédente – amortissement accéléré, déductibilité intégrale des intérêts, etc. – ainsi que les taux d’intérêt historiquement bas ayant soutenu l’essor du marché de l’immobilier, force est de constater que ce succès de l’investissement dans la pierre n’a pas entrainé une hausse suffisante au niveau de l’offre de logements. Tout au contraire, celle-ci s’est avérée peu élastique : alors que le nombre de logements achevés par an est resté stable, le nombre de nouveaux ménages a évolué à un rythme nettement plus dynamique durant cette période et le déséquilibre entre offre et demande s’est ainsi fortement accentué.
Ce profond déséquilibre est principalement dû à une série d’obstacles structurels qui pèsent lourdement sur le volume et le prix de la production de logements. Il s’agit en premier lieu de l’accès de plus en plus difficile et coûteux aux terrains à bâtir.
La structure oligopolistique du marché du foncier au Luxembourg
Le travail de recherche considérable, mené notamment par l’Observatoire de l’habitat, nous offre un aperçu détaillé et révélateur de l’ampleur de la spéculation et de la rétention foncière au Luxembourg, qui apparaît ainsi comme le principal vecteur de la crise du logement.
Tout d’abord, les chercheurs soulignent qu’il existe une réserve foncière considérable et relativement stable aux alentours de 4.300 hectares qui permettrait théoriquement de construire environ 161.500 logements (aux densités actuelles) pouvant accueillir jusqu’à 371.500 personnes, ce qui serait suffisant pour atteindre le seuil du million d’habitants.[2]
Les études de l’Observatoire décrivent un marché du foncier à structure oligopolistique – le degré de concentration de la détention du potentiel foncier destiné à l’habitat est très élevé et la majorité des terrains se trouve dans les mains d’une petite minorité de personnes ou de sociétés privées.[3]
L’analyse de la dynamique historique de la propriété foncière au niveau local a révélé qu’il existe d’importantes dynasties familiales qui transmettent et conservent leurs biens fonciers de génération en génération, en spéculant sur l’accroissement de la valeur à long terme. Ce mode opératoire est favorisé par une imposition récurrente trop timide respectivement par l’absence d’impôt sur les successions en ligne directe.[4]
En outre, le marché se caractérise par un phénomène de « double concentration »[5] : les grands promoteurs locaux figurent également parmi les principaux propriétaires fonciers, une situation qu’ils exploitent pour contrôler l’offre et les prix.[6]
Cette concentration du pouvoir de marché et la financiarisation du sol – les terrains constructibles sont avant tout considérés comme des placements financiers en raison de leur forte rentabilité et de leur résistance aux fluctuations des marchés financiers – favorisent les comportements spéculatifs et la rétention foncière.
Ce n’est donc pas la rareté de terrains constructibles qui est responsable des prix élevés, mais plutôt leur monopolisation ! La majeure partie de la réserve foncière est détenue par un cercle restreint de propriétaires fortunés, ce qui leur permet non seulement de contrôler le niveau de l’offre et donc l’évolution future des prix de l’immobilier par le biais du rythme de la commercialisation, mais aussi d’orienter l’aménagement du territoire, tant du point de vue de l’urbanisme que de la composition sociale.
Un risque socio-économique multidimensionnel
Cette concentration de la détention du foncier constructible confère à cette classe sociale aisée un poids socio-économique et politique totalement démesuré, difficilement compatible avec une société démocratique.
De surcroît, cette situation est d’autant plus regrettable que les intérêts privés des propriétaires divergent régulièrement de ceux de la collectivité : les premiers poursuivent une vision à long terme visant l’extraction de la plus grande part possible de la richesse créée par la société, tandis que les seconds ont besoin d’une valorisation à court terme (une thérapie de choc) en vue d’une forte dynamisation de la création de logements abordables et durables.
Compte tenu du contexte économique et monétaire actuel, qui a fortement affecté les capacités financières des ménages, les prix de l’immobilier artificiellement dopés[7] ont entrainé un net ralentissement de l’activité dans le secteur de la construction et comportent donc le risque d’une destruction importante et potentiellement permanente d’emplois et de tissu productif. Ce phénomène devrait toucher en premier lieu les petites et moyennes entreprises (PME) qui ne sont pas intégrées dans la chaîne de valeur d’un grand promoteur immobilier.
En sus, il convient de noter que l’approche spéculative des grands propriétaires fonciers pourrait s’avérer myope et se retourner finalement contre eux si la crise du logement s’aggravait au point d’avoir un impact négatif sérieux sur le développement économique du Luxembourg, annulant ainsi toutes les plus-values potentielles futures.
Un bien commun qui mérite un traitement fiscal particulier
Le rôle de l’accès artificiellement limité aux terrains constructibles dans le contexte de la crise du logement est donc bien documenté et généralement accepté.[8] Moins discutées sont cependant les raisons pour lesquelles le foncier constructible est un bien qui mérite un traitement fiscal très particulier et fort différent d’autres formes de patrimoine (actifs financiers, etc.). En effet, les arguments en faveur d’un changement de paradigme dans la fiscalité du foncier vont bien au-delà de la simple nécessité de mobiliser le foncier pour lutter contre la pénurie de logements.
Lutter contre la marchandisation du sol
La terre n’est pas une marchandise comme les autres. Son accès est limité, elle ne peut pas être multipliée et personne ne peut s’en passer. Par conséquent, son prix évolue au Luxembourg à un rythme généralement supérieur à la croissance de la richesse produite par la société luxembourgeoise et les propriétaires fonciers s’en approprient ainsi une part toujours croissante. Il est donc indispensable de changer de paradigme et de limiter la rentabilité de la commercialisation du foncier à un niveau qui soit socialement acceptable et qui permette de lutter contre les phénomènes précités.
La différence entre création et extraction de richesse
À cette fin, il faut tout d’abord différencier entre deux types d’investissement :
d’un côté, il y a les investissements « productifs » (« Wealth Creation ») qui apportent un gain économique, social, environnemental, etc. à la société. Il peut s’agir d’investissements qui augmentent la création de richesse ou qui sont vecteurs du bien-être humain ou de la cohésion sociale – investissements dans l’innovation, la recherche et le développement, le capital technique (installations, machines, outillages), l’éducation, la santé, etc.
De l’autre côté, il y a les investissements « improductifs » (« Rent Seeking »), indésirables d’un point de vue économique ou social. La rétention et la spéculation foncières en sont un exemple typique. Il s’agit d’investissements inertes et improductifs qui ne génèrent ni croissance, ni richesse, ni bien-être humain et qui n’apportent aucune plus-value socio-économique à la société. Leur objectif consiste dans la seule extraction d’une partie croissante de la richesse déjà existante au profit de rentiers et au détriment du reste de la société qui n’en tire non seulement aucun bénéfice, mais qui souffre même des conséquences socio-économiques néfastes du phénomène.
Ces deux types d’investissement se laissent représenter par une allégorie bien connue : tandis que les premiers augmentent la taille du gâteau, les seconds ne visent qu’à s’approprier une part maximale du gâteau déjà existant, provoquant ainsi une polarisation accrue de la richesse dans les mains de cette couche privilégiée.
Dans le cas du Luxembourg, ces investissements risquent de siphonner à la fois les ressources naturelles nécessaires pour calmer la crise du droit au logement (le foncier) et les ressources financières nécessaires aux investissements indispensables afin de faire face aux nombreux défis de notre ère (inégalités sociales, crise climatique, crise du logement, etc.).
Une plus-value créée par la société, mais captée par les propriétaires
Outre le fait que les propriétaires ne cherchent qu’à exploiter au maximum les richesses au détriment du reste de la population, il faut en même temps souligner que la plus-value qu’ils génèrent à l’issue de la spéculation foncière n’est pas le résultat de leur investissement, mais le fruit du travail du collectif.
Le foncier en soi n’a aucune valeur inhérente. Sa valeur résulte et dépend du seul effort de la société qui rend ce lieu attractif : progrès économique, l’accès aux infrastructures publiques (éducation, transport, etc.) financées par ce même collectif, croissance démographique, stabilité politique et cohésion sociale (mis en danger par la spéculation foncière), etc.
Cependant, considérant le traitement fiscal favorable des rentes foncières au Luxembourg, la société ne récupère dans le meilleur des cas qu’une partie infime de cette richesse qu’elle a en fait créée elle-même.
Pire encore, la société est victime de cette extraction. Non seulement le propriétaire du terrain ne produit à travers la détention du foncier pas de plus-value pour la société, mais l’impact de son comportement est plutôt à considérer comme « moins-value », car la société subit les conséquences économiques et sociales néfastes de ses actes.
Une extraction de richesse qui pèse sur l’intégralité de la chaîne de valeur et qui provoque une redistribution gigantesque en faveur des propriétaires terriens
Notons que l’impact de l’extraction de la richesse à travers la rente foncière ne se limite évidemment pas au seul prix du foncier ou de l’immeuble y construit, mais qu’elle se répand in fine sur toute la chaîne de valeur et toute la société : le secteur de la construction et l’artisanat qui doivent réduire leurs marges ou augmenter la pression sur les salaires afin d’éviter que le prix final de l’immeuble ne dépasse les capacités financières des acquéreurs ; les derniers qui doivent s’endetter fortement ; les occupants qui doivent soit payer un prix démesuré, soit un loyer exorbitant car la valeur dopée du foncier est prise en compte lors du calcul, et puis tout le reste de la société vu que les occupants (par exemple dans le cas d’un bail commercial) doivent récupérer leurs coûts à travers une hausse du prix du service qu’ils offrent (coiffeur, etc.) ou des biens qu’ils commercialisent (café, croissant, etc.).
Plus absurde encore, le locataire d’un local commercial, par son esprit d’entreprise, augmente lui-même l’offre et donc l’attractivité du quartier/lieu et donc la valeur du terrain dont il est locataire, dynamique qui se traduit in fine par l’évolution à la hausse de son propre loyer. Ainsi, par le biais du loyer (la rente), il paie indirectement l’augmentation de la valeur du terrain qu’il a lui-même créée.
D’un point de vue macroéconomique, la faible imposition des rentes foncières favorise donc une extraction continue et une gigantesque redistribution, sans cesse croissante, des richesses de l’ensemble de la société vers les propriétaires fonciers.
Les instruments fiscaux à envisager
L’imposition des rentes foncières au Luxembourg est actuellement dérisoire et ne reflète ni le coût socio-économique de la rétention foncière, ni l’importante contribution du collectif au développement de la valeur foncière imposable. La spéculation et la rétention foncières sont au centre d’un véritable capitalisme improductif et injustifiable sur tous les niveaux qui prélève sa rente sur le reste de la société. Ne pas combattre ce phénomène néfaste équivaut à se soumettre au primat du simple rendement financier de quelques rentiers aisés sur toute autre finalité économique ou sociale qui pourrait être mise au profit de l’intégralité de la société luxembourgeoise.
La plus-value foncière créée par la société grâce au progrès socio-économique devrait profiter en premier lieu à l’ensemble de la société et pas seulement à un nombre très limité de propriétaires terriens. Or, le régime fiscal actuellement en vigueur est dysfonctionnel et ne fait que récompenser les comportements spéculatifs.
Compte tenu de l’ampleur de la structure oligopolistique du marché foncier et des richesses qui y sont associées, la mobilisation de la propriété foncière retenue du marché nécessite des réformes politiques ambitieuses et incisives.
Les propositions suivantes poursuivent plusieurs objectifs :
1) Une imposition récurrente qui reflète la valeur actualisée du foncier ;
2) La mobilisation du foncier constructible pour augmenter la production en logements ;
3) Une taxation équitable des rentes foncières, qui résultent principalement des efforts de la société et non de ceux du propriétaire ;
4) La protection des locataires face à la flambée du prix du foncier qui se répercute sur les loyers.
Retenons d’ores et déjà qu’individuellement, les mesures seront inefficaces et inadaptées pour atteindre les objectifs visés et que les propositions devraient être évaluées et mises en œuvre en tant que paquet, car elles sont souvent complémentaires et se renforcent mutuellement.
Réformer l’imposition récurrente du foncier qui est anachronique et dérisoire
L’impôt foncier (IFON) actuellement en vigueur est anachronique, dépassé par l’évolution du marché foncier et largement symbolique, puisque le foncier est taxé à un niveau ridiculement bas qui ne reflète pas la valeur actuelle des terrains.
Alors qu’un projet de loi avait été déposé par le précédent gouvernement[9], qui aurait certes constitué un pas dans la bonne direction, le modèle proposé était généralement trop timide et se limitait à l’actualisation des valeurs foncières servant de base au calcul de l’IFON, tandis qu’une augmentation générale du montant de l’IFON n’était pas envisagée.
Compte tenu de l’envolée des valeurs foncières et afin de capter de manière récurrente une partie des plus-values afin de disposer des moyens nécessaires pour investir, entre autres, dans l’entretien des infrastructures, l’IFON devrait être tonifié de manière conséquente à travers une augmentation générale du niveau d’imposition. En contrepartie, une baisse de l’imposition des revenus du travail devrait être envisagée.
Notons que le projet de loi a le grand mérite d’avoir proposé un système d’évaluation foncière – automatisé et informatisé – qui permet d’attribuer à chaque bien immobilier imposable une valeur de base reflétant la valeur foncière correspondante. La mise en œuvre dudit système est une condition préalable à l’introduction d’une imposition ciblée des valeurs foncières.[10]
Entre autres, l’IFON réformé devrait comporter une composante nationale progressive prenant en compte la valeur totale du patrimoine immobilier du contribuable, de manière à lutter contre la concentration croissante de la propriété immobilière, à limiter les appétits commerciaux ou spéculatifs et à favoriser, dans une logique d’allocation optimale des ressources, une meilleure circulation du capital, une utilisation optimisée des biens immobiliers et une gestion dynamique du patrimoine immobilier, afin de fluidifier le marché immobilier en vue d’un rééquilibrage espéré.
Introduire une taxe à la mobilisation du foncier retenu
En plus de l’actualisation et du renforcement de l’imposition récurrente des valeurs foncières, un impôt national à la mobilisation des terrains à bâtir devrait être introduit afin d’inciter les propriétaires à viabiliser leur foncier. Compte tenu de l’urgence de la crise du logement, les taux d’imposition et leur progressivité dans le temps doivent être suffisamment ambitieux pour avoir un impact significatif à court et moyen terme.
Afin de favoriser la fluidification du marché du foncier tout en luttant contre la rétention multigénérationnelle, l’introduction d’un impôt sur les successions en ligne directe de terrains constructibles devrait être étudiée.
Une politique de la carotte qui ne fait que rassurer les spéculateurs
Si les mesures susmentionnées permettraient certes d’augmenter l’imposition récurrente du foncier et, dans le meilleur des cas, d’inciter à l’aménagement des surfaces constructibles, elles ne s’attaquent pas à l’injustice qui résulte du fait que les rentiers profitent en cas de cession d’une plus-value exorbitante, produit de l’effort sociétal, qui n’est pas suffisamment imposée et dont la société ne récupère par conséquent qu’une partie infime.
Pour cette raison, l’imposition des plus-values foncières devrait également être augmentée. Cela dit, il est d’autant plus regrettable que les gouvernements successifs aient pris le chemin inverse, en réintroduisant de facto systématiquement le « quart taux » (l’imposition des plus-values immobilières à un quart du taux global)[11], fortement régressif, généralement inefficace[12] dans la mobilisation de terrains et coûteux pour les pouvoirs publics. En sus, comme les propriétaires semblent pouvoir compter sur la réintroduction régulière du « quart taux », l’instrument perd complètement son caractère incitatif et ne fait finalement que rassurer les spéculateurs.
Notons d’ailleurs que le traitement fiscal des plus-values de cession est déjà favorable à l’heure actuelle : le prix d’acquisition de l’immeuble est régulièrement adapté à l’évolution des prix (ce qui diminue la plus-value imposable) et le contribuable bénéficie d’un abattement de 50.000 euros (100.000 euros dans le chef des époux imposables collectivement) et, sous certaines conditions, d’un abattement de 75.000 euros pour les immeubles acquis par voie de succession en ligne directe.
En outre, le « quart taux » réduit l’effet incitatif d’une autre mesure qui est censée promouvoir la constitution d’une réserve foncière en mains publiques telle que visée par le comité d’acquisition du ministère des Finances, condition sine qua non d’une accélération de la création de logements abordables publics. En effet, la loi du Pacte Logement prévoit que les plus-values et les bénéfices de cession sur les ventes de terrains à l’Etat et aux communes sont exonérés de l’impôt sur le revenu.
Vu que le taux d’imposition maximal sur la plus-value tirée de la vente d’un terrain constructible se situe entre 21% et 42%, cette exonération correspond à un gain fiscal considérable pour le vendeur. Logiquement, toute baisse du taux d’imposition diminue le bénéfice fiscal et donc l’effet incitatif de cette exemption. Par conséquent, la réintroduction du « quart taux » non seulement rassure les spéculateurs tout en accordant des avantages fiscaux inefficaces, mais va également à l’encontre de la politique du logement public.
Pour une augmentation progressive du taux d’imposition des plus-values foncières
Pour lutter résolument contre la financiarisation du foncier constructible, il faudrait plutôt annoncer une hausse progressive de l’imposition des plus-values foncières, qui devraient être soumises, indépendamment de la durée de détention, au moins au taux global, afin de les mettre sur un pied d’égalité avec l’imposition des revenus du travail. En effet, il est absurde que le travail productif soit imposé à un taux 2 ou 4 fois plus élevé que les plus-values foncières.
Or, une augmentation progressive jusqu’à un taux bien supérieur au taux global est tout à fait défendable et justifiable d’un point de vue socio-économique, étant donné que la plus-value résulte uniquement des efforts de la société et étant donné l’impact néfaste de la financiarisation du foncier sur le développement actuel et futur du pays.
Il convient, par ailleurs, de noter qu’une taxation plus élevée des plus-values immobilières faciliterait fondamentalement la constitution d’une réserve foncière en mains publiques, indispensable pour accélérer la production de logements publics abordables. Étant donné que les plus-values foncières sont exemptées de l’imposition en cas de cession à la main publique, toute hausse du taux d’imposition renforcerait l’attrait de cette disposition et permettrait aux pouvoirs publics de négocier des prix de vente plus bas, ce qui préserverait les finances publiques et permettrait de financer in fine un plus grand volume de logements.
Dans le cas d’un changement d’affectation d’un terrain en zone constructible, qui entraîne automatiquement une multiplication de la valeur du terrain, la plus-value qui en résulte devrait être en grande partie récupérée et captée par la société, soit par une imposition élevée des plus-values latentes ayant le mérite de dynamiser la circulation du capital, soit par une imposition accrue de la plus-value en cas de cession. Cette approche permettrait également d’endiguer la spéculation sur les terrains situés à proximité des zones constructibles.
Réformer le plafonnement des loyers et limiter l’incidence foncière dans le calcul des loyers
Compte tenu du marché locatif sous forte pression, il est particulièrement urgent d’instaurer un encadrement plus ambitieux des loyers. Le contrôle légal du niveau des loyers est toutefois un instrument controversé, souvent décrit comme inefficace et potentiellement contre-productif à moyen et long terme. Ses détracteurs soulignent ainsi qu’une politique plus interventionniste risque d’affecter l’équilibre du marché en affaiblissant le rendement locatif (ratio loyer/prix) et, par conséquent, le niveau des investissements privés, ce qui provoquerait une raréfaction et une détérioration de la qualité de l’offre locative.
Contrôler et réglementer les loyers tout en maintenant, en même temps, un niveau élevé d’investissement privé dans l’immobilier résidentiel est donc souvent considéré comme la quadrature du cercle. Pourtant, des réformes favorisant une réduction de l’incidence foncière – la part du prix d’acquisition du terrain dans le prix d’un logement – permettraient de modérer l’évolution des loyers tout en préservant la rentabilité des investissements dans le logement locatif. Si les mesures susmentionnées devaient déjà avoir un certain effet modérateur sur l’évolution des prix des terrains constructibles, il conviendrait en même temps de dissuader les investisseurs-bailleurs de payer des prix démesurés pour le foncier et de protéger les locataires contre le poids excessif du foncier qui se traduit par des loyers trop élevés.
La loi sur le bail à usage d’habitation fixe le rendement locatif annuel maximal en fonction du capital investi dans le bien mis en location. Cependant, la législation ne fait pas de distinction entre le capital investi respectivement dans le terrain ou dans le bâtiment. Par conséquent, la raréfaction artificielle du foncier se répercute directement sur l’évolution des loyers.
Or, dans le cadre d’une réforme du bail à loyer, il serait important d’adopter une perspective qui dépasse la seule relation bailleur-locataire. Sinon, on risque de se concentrer sur l’arrière-scène et de négliger l’existence d’un troisième maillon dans cette relation, qui est dans de nombreux cas le premier responsable du niveau des loyers : le rentier foncier.
En effet, une grande partie du loyer ne finit pas nécessairement dans la poche du bailleur, mais passe indirectement, par le biais du prix payé pour le terrain, du bailleur au propriétaire initial du terrain, qui empoche en fin de compte une grande partie du rendement locatif.
Il est en fait assez étonnant que dans les discussions concernant la réforme du bail à usage d’habitation, les investisseurs aient jusqu’à présent réussi à attirer l’attention sur l’argument selon lequel un plafonnement plus ferme serait à éviter afin de garantir un rendement locatif suffisant par rapport aux coûts d’investissement, alors que le problème fondamental réside dans l’augmentation constante de l’incidence foncière. En effet, en réduisant la rente foncière, on pourrait limiter l’évolution des loyers tout en garantissant au bailleur un rendement locatif en adéquation avec son investissement dans l’immeuble respectivement les coûts d’entretien du bâtiment.
Pour contrer cette redistribution continue de la richesse du bas vers le haut, une réforme du bail à loyer devrait viser à limiter l’impact de la rente foncière sur l’évolution des loyers en passant progressivement à un modèle appliquant un taux de rendement maximal plus faible à la part du capital investi dans le foncier, ce qui, combiné aux autres mesures proposées, exercerait progressivement une pression à la baisse sur le prix du foncier. Ce modèle devrait également être étendu aux baux commerciaux.