L’évolution des inégalités au Luxembourg

Les inégalités augmentent le risque de conflit social et diminuent la cohésion sociale. Il importe dès lors de suivre avec beaucoup d’attention les évolutions des différents indicateurs d’inégalités afin d’éviter un délitement social insidieux.

Cette tâche ne s’avère pourtant pas aisée du fait du caractère multidimensionnel des inégalités et de l’interdépendance qui règne entre les différentes composantes, qu’elles soient économiques, sociales ou culturelles.

Ainsi, concernant les inégalités qui relèvent du patrimoine économique, force est de constater qu’au Grand-Duché, elles ont nettement augmenté par rapport à la situation connue au milieu des années 1980.

En matière de revenus après impôts et transferts sociaux, les données de la World Inequality Database[1] font état d’un indice de Gini[2] en hausse de près de 20% entre 1985 et 2021.

Figure 1 Évolution de l’indice de Gini du revenu par tête après impôts et transferts sociaux ; Source WID

Parmi les pays voisins, seule l’Allemagne connaît une évolution plus défavorable de cet indicateur tandis qu’en France ou encore en Belgique la tendance est plutôt à une lente résorption des inégalités de revenus.

Plus dans le détail, si l’on compare la part de l’ensemble des revenus du pays revenant aux 10% les mieux rémunérés au 50% de personnes se situant dans le bas de la distribution de revenus, il appert que ce rapport est passé de 1,6 en 1985 à près de 1,9 en 2021, signifiant que, après prise en compte des impôts sur le revenu et des transferts sociaux, les 10% des individus les mieux rémunérés ont une part deux fois plus importante du total des revenus que les 50% de personnes qui se situent dans le bas de la distribution.

Cette évolution s’explique par une dynamique plus favorable des hauts revenus en période de bonne conjoncture comparativement aux revenus plus faibles qui certes augmentent aussi, mais à un rythme nettement moins soutenu. En période de vaches maigres, les revenus élevés résistent mieux, comme en témoigne la décrue relativement plus lente du revenu moyen du décile supérieur de la distribution des revenus.

Figure 2 Revenu moyen des 10% des individus les mieux rémunérés et des 50% des individus aux revenus les plus faibles ; Source : WID

De ce fait, par rapport au milieu des années 1980, le revenu annuel moyen des 10% d’individus se situant à la tête de la distribution des revenus a augmenté de 77% (de 91 604 à 162 331 euros) tandis que pour la moitié de la population se situant en bas de l’échelle de revenus, le revenu moyen n’a augmenté que de 39% pour passer de 21 013 à 29 312 euros.

Ces évolutions disparates des revenus trouvent en partie leur source dans les inégalités de patrimoine préexistantes (notamment entre les résidents natifs qui ont plus aisément tiré profit de l’explosion des prix du foncier et des immeubles au cours des dernières décennies et les personnes s’étant établies au Luxembourg au cours des différentes vagues migratoires), mais elles viennent aussi au fil des années renforcer les inégalités de capital au sein de la population.

Il n’est guère étonnant de constater que les inégalités de patrimoine sont, de façon générale, nettement plus importantes que les inégalités de revenus.

Figure 3 Part du patrimoine total détenue par les 10% d’individus les plus aisés et les 40% les moins riches ; Source : OCDE[3]

Ainsi, le rapport entre la part du patrimoine total détenue par les deux déciles inférieurs de la distribution et celle détenue par le dixième le plus aisé est de 1 à 12 en 2018 (contre de 1 à 6 environ pour le rapport entre les revenus après impôts et transferts sociaux moyens des 50% les moins bien rémunérés et les 10% de revenus les plus élevés).

Ces inégalités en matière de revenus et de patrimoine viennent, selon les positions des individus au sein des distributions respectives, soit faciliter, soit entraver la mobilité sociale. À ce titre, l’étude PISA fait apparaître des résultats édifiants en ce qui concerne le lien entre patrimoine économique et patrimoine culturel.

En effet, les vagues plus récentes de cette enquête de l’OCDE sur les performances scolaires des adolescents permettent de tirer des enseignements sur les compétences en lecture, en mathématiques et en sciences des enfants selon le statut socio-économique de leurs parents[4].

Figure 4 Score (de 0 à 1000) des compétences en lecture par quartiles de l’indice de statut socio-économique ; Source : OCDE, PISA 2018

Ainsi, en ce qui concerne la lecture, les résultats montrent, outre une performance nettement plus faible des élèves issus de milieux défavorisés par rapport à ceux des pays voisins, également que l’écart entre les scores moyens des adolescents issus de familles ayant un statut socio-économique faible (premier quartile) et élevé (quatrième quartile) est le plus élevé des pays de l’OCDE. Des constats similaires peuvent être établis en ce qui concerne le lien entre statut socio-économique et performances en mathématiques ou en sciences menant tout compte fait à des performances scolaires moindres et à des niveaux de qualification moindres une fois le cursus scolaire terminé.

Ainsi, les enfants issus de milieux défavorisés ont plus de risques d’avoir de faibles niveaux de qualification, voire de se retrouver en situation de décrochage scolaire, et donc de perpétuer le cercle vicieux de renforcement intergénérationnel des inégalités sociales.

Afin de briser ce cercle vicieux qui met à mal l’égalité des chances, puisque les possibilités et capacités de chacun s’écartent de plus en plus les unes des autres, il faut mettre en œuvre des réformes dans de nombreux domaines, que ce soit la fiscalité des revenus mais aussi du patrimoine ou encore des successions, le système éducatif, etc.


  1. https://wid.world/country/luxembourg/
  2. L’indice de Gini mesure le niveau d’inégalité de la répartition d’une variable (p. ex. du revenu) dans la population. Il varie de 0 à 1 (0 = égalité parfaite, c.-à-d. tout le monde perçoit le même revenu, 1 = une seule personne perçoit tous les revenus et les autres n’ont aucun revenu).
  3. https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=WEALTH
  4. Voir OCDE. PISA 2018 Results (Volume II) : Where All Students Can Succeed, chapitre 2