Pour comprendre les enjeux qui découlent des inégalités, il convient d’abord de se mettre d’accord de quoi on parle quand on parle des inégalités sociales. En sciences humaines, une des définitions les plus courantes de l’inégalité sociale est la suivante :
« Une inégalité sociale est le résultat d’une distribution inégale, au sens mathématique de l’expression, entre les membres d’une société, des ressources de cette dernière, distribution inégale due aux structures mêmes de cette société et faisant naître un sentiment, légitime ou non, d’injustice au sein de ses membres. »[1]
Quand on parle de ressources réparties inégalitairement, il ne s’agit pas seulement des ressources financières (revenus et patrimoines) mais aussi de ressources sociales, politiques, éducatives, etc. Il y a une multidimensionnalité de ressources à la base des inégalités. À ce propos, les chercheurs en sciences humaines dégagent trois grandes catégories d’inégalités sociales :
- Les inégalités dans l’ordre de l’avoir: il s’agit là des inégalités des ressources matérielles ;
- Les inégalités dans l’ordre du pouvoir: ces sont des inégalités des ressources sociales et politiques, c’est-à-dire la capacité à faire valoir ses droits, à défendre ses intérêts ;
- Les inégalités dans l’ordre du savoir: on parle ici des inégalités des savoirs, c’est la capacité d’élaborer des connaissances et de donner du sens aux situations vécues.
L’inégalité sociale doit être induite par la société, donc être l’œuvre de la société elle-même, par exemple un traitement différent selon certains critères basés sur le genre, l’origine ethnique, l’âge, etc.
Enfin, sans le sentiment d’injustice, les inégalités sociales apparaitraient comme inexistantes. Ce sentiment peut porter tant sur les inégalités sociales elles-mêmes que sur le processus qui les engendre ou encore sur les conséquences qui en découlent. Sans ce sentiment de révolte et de protestation qui en résulte, l’inégalité sociale paraîtrait comme aller de soi et serait totalement invisible, voire pire elle serait intégrée.
Les différentes inégalités interagissent les unes avec les autres et sont donc réciproquement causes et effets les unes des autres. Pour exemples, les inégalités face à la protection sociale s’expliquent fortement par le fait d’avoir un emploi et des revenus professionnels. Les inégalités face à la santé sont corrélées avec les inégalités face aux conditions de travail, donc aussi déterminées par les inégalités de position au sein des rapports de production. Les inégalités face au logement sont déterminées par les inégalités de revenu disponible et par les inégalités face à l’emploi, etc.
Aussi, on comprend que ce renforcement des inégalités a pour conséquence un cumul de désavantages ; un premier entrainant des désavantages dans d’autres champs. Cette dynamique favorise la polarisation entre ceux « qui ont tout » et ceux « qui n’ont rien ».
Tout ce mode d’interaction complique encore la situation et renforce le sentiment d’injustice et aggrave l’impression de désarroi face à la possibilité d’améliorer sa propre condition.
Les inégalités se reproduisent aussi de génération en génération. Bien évidemment, il y a des exceptions à ce phénomène et le destin de chacun n’est pas strictement déterminé mais de manière générale, les chercheurs en sciences sociales s’accordent sur le fait de la reproduction des inégalités. L’égalité des chances est plus un mythe qu’une réalité. Ceci s’oppose à l’idée même d’une société totalement ouverte à une mobilité sociale garantie et à l’adage du « quand on veut, on peut », associé au concept de méritocratie.
Différents facteurs peuvent expliquer cette mobilité sociale réduite et inégalitaire, notamment : le patrimoine économique, le patrimoine culturel, le patrimoine social et la taille et la composition des familles.
En quelques mots, le patrimoine économique est la fortune héritée et les revenus. Il s’agit des patrimoines financiers, du patrimoine professionnel et du patrimoine immobilier. Ce patrimoine reste très concentré dans le haut de la distribution des avoirs.
Le patrimoine culturel est aussi important pour la mobilité ascensionnelle. En effet, un individu hérite non seulement des avoirs économiques de ses parents, mais aussi du capital culturel de ces derniers. De ce fait une personne va bénéficier de l’ensemble des connaissances et aptitudes, de valeurs et d’engagements de ses parents et pourra se mouvoir au sein de la société en fonction de ses acquis et aptitudes culturels. Et il va de soi que face à ce capital culturel, comme pour le financier, l’égalité des chances n’existe pas.
Le patrimoine social se caractérise par les réseaux relationnels d’une personne. C’est le milieu social dans lequel interagit une personne ; milieu socialement plutôt sélectif et fermé où règne une certaine homogénéité.
La taille et la composition des familles jouent également dans le manque de mobilité sociale et donc dans le risque de subir des inégalités sociales. De nos jours, ce sont les familles monoparentales qui subissent davantage les discriminations sociales (économiques, culturelles et sociales).
Les inégalités se renforcent les unes les autres et se reproduisent de génération en génération ; ceci installant une sorte de morosité face aux possibilités d’évoluer socialement et engendrant intrinsèquement une dualisation importante de la population. De ce fait, le risque de conflit social est important et la cohésion sociale est ébranlée.
Si les conflits sociaux peuvent enclencher des réformes importantes, toute société a besoin de cohésion sociale pour le bien-être des individus, qu’ils soient riches ou moins bien lotis. Finalement, combattre les inégalités sociales, c’est privilégier le bien-être et l’évolution de chaque personne appartenant à une société.