Pour être clair, définissons d’abord la signification du mot réticent. Le site « La langue française » définit ce mot ainsi : « Marqué par une attitude de réserve ou de désapprobation, montrant un manque d’enthousiasme à l’idée de faire quelque chose, à se montrer coopératif avec quelqu’un ou envers quelque chose. »
Ce mot est donc plus qu’approprié pour décrire la situation devant laquelle nous nous trouvons actuellement par rapport au défi urgent de changer notre attitude concernant les changements climatiques et par conséquent la disparition à court ou moyen terme d’une partie significative des plantes et animaux. Ceci n’est pas sans avoir un impact sur l’être humain qui sera condamné, pour une grande partie de la population mondiale, également à s’acheminer vers sa fin.
Mais quelles sont les raisons pourquoi une partie de l’humanité se refuse à accepter cette réalité ? S’agit-il d’une peur indéfinissable face à cette situation ou sommes-nous dans une situation plus complexe. Vivons-nous une situation qui oppose la personne et sa compréhension individualiste, au sens égoïste, de son environnement et la notion humaniste et sociale de notre société. Même si cette caractérisation a du sens comme un éclaircissement essentiel, il sera nécessaire d’analyser quelques facteurs qui corrèlent d’une façon ou d’une autre avec l’individualisme.
Commençons par ce que l’on qualifie de vérité. Depuis que l’être humain a commencé à réfléchir sur des questions qui dépassent sa situation quotidienne pour survivre, nous sommes dans un monde qui se scinde jusqu’à nos temps entre savoir et croire. Dans un premier temps, c’était la croyance qui prévalait faute de preuves scientifiques. L’homme était obligé de trouver des explications qui lui permettaient de comprendre l’environnement dans lequel il vivait. C’est ainsi que se développaient les croyances qu’on peut qualifier de surnaturelles, jusqu’à ce que se pointaient les premiers philosophes qui tentaient d’établir des principes qui résultaient dans la recherche d’un monde idéal pour une société donnée. Un des champs de cette cogitation concerne la vérité, sur laquelle Platon en tant que premier réfléchissait dans son allégorie de la caverne. Il vient à la conclusion que la vérité passe par un travail sur soi, sur ses croyances pour les dépasser et atteindre la connaissance. D’autres philosophes ont également apporté leur contribution à la vérité. René Descartes, un des fondateurs de la philosophie moderne, a introduit la notion du « doute méthodique ». Il définit cette notion par la réflexion suivante : « Pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le système de ses connaissances. »
Pour arriver à ce stade, il propose quatre règles qu’on peut synthétiser ainsi :
- N’acceptez jamais comme vrai quelque chose qui n’est pas évident.
- Divisez chaque difficulté en sous-parties selon les besoins pour la résoudre.
- Pensez du plus simple au plus complexe.
- Effectuez des vérifications exhaustives pour éviter les oublis.
Ceux qui ne sont pas capables de suivre cette logique ne seront pas capables de changer leur opinion de façon générale et en particulier concernant la crise climatique.
Venons, suite à cette brève excursion philosophique, qui ne se veut pas être complète puisqu’un certain nombre d’autres philosophes ont travaillé sur ce sujet, aux sciences qui sont contestées par nombre de gens qui sont influencés par des théories complotistes. Ces théories ne sont pas nouvelles. Ainsi, lors de l’alunissage des missions Apollo, de nombreuses personnes ont cru qu’il s’agissait d’une mise en scène, pour ne nommer que cet exemple. Et ce scepticisme s’est accru depuis les années 2000 si l’on pense aux différentes crises politiques et sociales, comme les élections présidentielles américaines, la pandémie de COVID-19 ou la guerre contre l’Ukraine.[1]
Les raisons pour ce refus de croire les sciences sont multiples. De façon générale, il y a une méfiance envers un groupe social, généralement « ceux d’en haut », qui veulent nuire à un autre groupe, « ceux d’en bas ». Une suite de cette croyance est la domination du monde par ce groupe. Karen Douglas de la School of Psychology, University of Kent mentionne que “conspiracy theories concern events and phenomena that the public do not (but should) know about.” et continue que “conspiracy theories also have in common that they are agentic, involve malevolent or forbidden acts, are epistemically risky, are oppositional, and are social constructs.”[2]
Sans vouloir s’attarder sur les raisons des personnes qui refusent d’accepter les conclusions de la science, voire de la vérité, résumons ce que dit la Dr. Larissa Zwar de l’Université Brock[3] sur ce sujet :
- D’un côté, nous avons le besoin de comprendre ce qui se passe dans notre vie. Si ces explications ne sont pas compréhensibles, ce besoin n’est pas satisfait, et nous passons vers les théories avancées par les solutions complotistes.
- Un autre élément concerne nos besoins de sécurité. Si nous avons le sentiment que nous perdons le contrôle de notre existence, ce qui se passe particulièrement en temps de crise, nous cherchons des dénouements simplistes qui nous conviennent.
- Dernière raison qui peut nous mener à nous tourner vers ces solutions conspirationnistes concerne le besoin de l’être humain d’appartenir à un groupe ayant les mêmes vues de ce monde. Un exemple pour illustrer cette situation : quand Donald Trump a perdu les élections contre Joe Biden, les adeptes de Trump, et lui-même, étaient convaincus et ont colporté cette croyance qu’il y avait fraude électorale avec les conséquences que cela a eues.
Toutes ces raisons concernent, suivant les recherches récentes, surtout des personnes qui se sentent exclues, qui sont peu connectées socialement, qui se sentent délaissées par la majorité. Afin d’éviter que cette partie de notre société n’augmente, il devient urgent, d’un côté, de mettre en place au niveau de l’éducation la préparation des apprenants à être compétents pour pouvoir différencier entre les informations qui sont fausses et celles qui sont vraies. De l’autre côté, il faut informer les personnes en les faisant participer aux décisions politiques pour qu’elles soient capables de prendre des décisions éclairées. Combattre les théories complotistes n’a pas beaucoup de sens puisque ces positions foisonnent et cela inciterait plus à maintenir cette position.
Nous sommes actuellement dans une crise climatique qui nous demande de nous remettre en question par rapport à notre position que la terre est notre réserve pour assouvir nos désirs au lieu de nous accorder avec elle. Or ceci n’est pas chose facile pour deux raisons :
La première, l’argument favori des sceptiques, concerne le déni qu’il n’y a aucune preuve du changement climatique et que l’homme en est à l’origine. Ils sont d’avis que la recherche ne prouve rien. Ils nient toute preuve scientifique comme argument probant. La question qui se pose est si on peut affirmer que l’homme est responsable du réchauffement climatique.
Or, la finalité de la science n’est pas de rechercher la vérité absolue, mais de trouver des explications à une situation donnée. Elle étudie les « événements » moyennant des théories et des observations lesquelles sont en permanences vérifiées et corrigées ou rejetées. La science a pour but de trouver en permanence de nouvelles explications, en affinant les méthodes de travail pour nous donner des explications pertinentes. Cette approche s’applique aussi au changement climatique.
Et c’est depuis les débuts du XIXe siècle que les scientifiques ont constaté l’effet de serre pour arriver dans les années 70 à créer le terme de « Global Warming ». En se basant sur leurs travaux, les chercheurs ont conclu que le réchauffement tendrait vers des températures qui n’ont pas encore existé depuis qu’on fasse des observations météorologiques. Depuis ces premiers travaux sur le climat, nombreuses avancées ont été faites.
Et c’est en 2021 que deux physiciens Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann ont reçu le prix Nobel de Physique pour leurs travaux sur la modélisation du changement climatique. Hasselmann a obtenu le prix pour ses travaux sur le rôle prépondérant des activités humaines dans le réchauffement observé depuis le milieu du XIXe siècle et Manabe pour le développement du premier modèle physique qui parvint à montrer la sensibilité du climat à la teneur de l’atmosphère en CO2. On peut donc retenir que la recherche sur ce sujet trouve toujours de nouvelles explications, tout en affinant ses méthodes de travail pour nous tenir à jour et conforter les personnes qui veulent sauver la terre dans leur combat.
La deuxième raison qui fait obstruction au sauvetage de notre terre concerne l’économie et implicitement la politique. L’économie tarde à se libérer des théories qui voient la terre uniquement comme une ressource exploitable. Outre cette intransigeance, les économistes sont incapables, malgré leurs compétences indéniables en économie, de transposer les impacts du changement climatique en perte économique. Ils les chiffrent de même façon que les risques financiers traditionnels sans tenir compte de l’imprévisibilité des pertes. Finance Watch, association d’intérêt public, constate « un grave décalage entre la recherche sur le climat et les modèles économiques qui façonnent les politiques économiques et financières. » Tout ceci mène à des estimations de l’impact peu réaliste qui s’exprime en un discours de rester dans l’état des choses et sans changement de méthode de travail sans tenir compte des réalités.
Pour ce qui est de la politique, elle est en principe responsable pour le bienêtre des citoyens et par conséquent devrait veiller à ce que ces derniers vivent dans un environnement approprié, et non de subir les changements climatiques. N’oublions pas qu’une majorité des habitants de notre terre sont les victimes de catastrophes. Ces fléaux vont de l’engloutissement de leur environnement par la montée du niveau d’eau ou les inondations, la destruction de leur habitat par l’augmentation et la force des cyclones et tempêtes ou les effets de la sècheresse sans parler de nombreux dangers pour les travailleurs du monde entier, par exemple la chaleur excessive, la pollution de l’air, les rayons UV[4]. Ce sont souvent les personnes dont les ressources sont insuffisantes qui subissent les conséquences et qui, suivant les statistiques,[5] sont ceux qui produisent le moins des émissions de gaz à effet de serre (10%) au contraire des personnes riches qui en produisent 52%.
Mais force est de constater que la politique agit plus par réserve que par audace pour lutter contre le changement climatique. Cette position est en contradiction avec les outils qu’elle a à disposition pour créer les conditions juridiques et économiques concernant la gestion de l’environnement naturel. Pourquoi alors cette retenue à agir ? La réponse est qu’il y a une certaine dépendance de la politique pour ce qui est de la relation avec l’économie. Cette relation s’exprime par une réglementation qui permet aux acteurs de l’économie d’augmenter les bénéfices. Si les acteurs politiques décident de modifier les règles en tenant compte des changements en cours les protagonistes économiques répondent avec une réduction des investissements, une délocalisation ou encore le licenciement des salariés.
La conclusion qu’on peut tirer de cette situation se résume par l’expression du serpent qui se mord la queue. Autrement dit, l’économie se confine dans les théories inadaptées et la politique veut pas perdre les élections à cause de l’économie qui vacille.
Nous sommes donc dans une situation que Jens Beckert qualifie ainsi : „Die Macht und Anreizstrukturen der kapitalistischen Moderne und ihre Steuerungsmechanismen blockieren eine Lösung des globalen Problems namens Klimawandel.“[6]
La réticence pour sauver et préserver notre planète est une réalité qu’il est finalement difficile à surmonter, malgré le nombre d’experts qui démontrent l’existence d’un changement climatique, l’essaim de personnes engagées dans la sauvegarde de l’environnement et le nombre de catastrophes naturelles et humaines découlant des changements. Si les différents protagonistes ne changent pas leur opinion, la terre deviendra de moins en moins habitable. Et ceci n’est pas quelque chose qui arrivera dans plusieurs siècles, mais qui est déjà à nous arriver puisque nous avons dépassé les +1,5°C de réchauffement climatique que l’Accord de Paris ne prévoyait pas avant 2030. Suivant l’Organisation mondiale de la Santé ce changement entrainera autour de 250 000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050. Ceci sera dû aux manques de nourriture et d’eau, à différentes affections et autres maux liés aux suites du changement climatique. Zinta Zommers, la responsable de la science du climat au Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, prévoit « chaque année, le décès de plus de neuf millions de personnes liés au changement climatique ». Au vu de cette réalité, il faut que nous agissions maintenant avant qu’il ne soit trop tard.