À travers le monde, les inégalités se sont renforcées. Au Luxembourg, les répartitions inégalitaires sont également très prononcées. Alors qu’en 2007, le revenu moyen perçu par les 5 pour cent les plus aisés était 8,2 fois plus important que celui des 5 pour cent les plus pauvres, en 2019, le revenu moyen gagné par les 5 pour cent les plus aisés était 17,3 fois plus important que celui des 5 pour cent les plus pauvres.
L’indice Gini qui augmente laissant ainsi apparaître que le taux de risque de pauvreté est passé de 11,95 pour cent en 2003, par 17,4 pour cent en 2019, à 19,25 pour cent de la population en 2021. Les 10 pour cent les plus riches du Luxembourg possèdent la moitié du patrimoine total, et le 1 pour cent des ménages les plus riches détient 19 pour cent de la fortune totale. Selon les derniers chiffres, le Luxembourg compte 42.800 millionnaires (augmentation de 6,5 pour cent en nombre et de 8,3 pour cent du patrimoine).
Grâce aux transferts sociaux, la précarité est fortement réduite. L’an dernier, les prestations représentent ainsi 46 pour cent du revenu brut des 10 pour cent des ménages les plus pauvres, contre seulement 11 pour cent de celui des ménages les plus aisés.
La justice sociale est en fait un puzzle dont l’équité fiscale constitue un élément important. Il en découle que l’une des manières de lutter contre la répartition inégale serait de réformer la fiscalité, et, notamment, la faible imposition, voire la non-imposition actuelle des revenus provenant des capitaux et du patrimoine.
Il est vrai que le projet de loi sur l’impôt foncier, l’impôt à la mobilisation de terrains et l’impôt sur la non-occupation de logements se dirige sur la bonne voie, mais l’objet de celui-ci est la lutte contre la pénurie des logements, et n’attaque pas l’imposition véritable du capital en tant que tel.
1. L’imposition des revenus provenant de capitaux mobiliers et immobiliers
La justice fiscale horizontale vise à imposer de manière égale les personnes placées dans une situation similaire. En effet, deux personnes ayant le même revenu doivent être imposées de la même façon.
Le principe consiste à imposer à un même niveau d’impôt un revenu spécifique, quelle que soit l’origine du revenu. Que le revenu soit composé d’un salaire, d’une pension, d’un bénéfice d’une profession commerciale, agricole ou libérale ou que le revenu consiste dans des intérêts, des dividendes, des loyers ou des plus-values, un certain revenu devrait automatiquement entraîner le même montant d’impôt.
Or, actuellement, les revenus du travail sont imposés communément d’après le barème général du revenu, alors que les revenus provenant des capitaux soit ne sont pas imposés du tout, soit subissent une imposition réduite ou forfaitaire. Toutefois, il est vrai que, dans le domaine de l’imposition du travail et des pensions, certaines mesures réduisent la progressivité de l’impôt sur le revenu de façon indue, comme les pensions des deuxième ou troisième piliers et la prime participative, et se heurtent ainsi également au principe de la justice fiscale horizontale.
1.1. Le cas des revenus provenant de capitaux mobiliers
Relevons-en d’abord la retenue à la source libératoire sur les intérêts qui a été majorée de 10 pour cent à 20 pour cent par la réforme fiscale de 2017. Prenant de nouveau une certaine ampleur avec la politique monétaire future, une telle augmentation forfaitaire pénalise les petits épargnants disposant d’un revenu faible.
En revanche, les plus-values résultant de placements dans des fonds d’investissement ou de ventes d’actions, après l’écoulement d’un délai de six mois, sont généralement exonérées, et les dividendes ne sont imposés qu’à raison de 50 pour cent. Une autre problématique est celle du flagrant déséquilibre entre la charge fiscale d’une personne physique et celle d’une société qui provient, d’une part de la forte progressivité du barème des personnes physiques, et, d’autre part, de la concurrence fiscale en matière d’imposition des sociétés.
Il est un fait que beaucoup de personnes physiques exercent leur activité professionnelle indépendante par le truchement de sociétés ou structurent leurs investissements dans des sociétés. Cette pratique n’est pas critiquable en soi, mais il s’agit de rétablir l’équité fiscale, indépendamment du choix de structuration de l’activité ou de l’investissement.
Si les taux actuels dans le domaine de l’imposition des sociétés semblent être immuables en raison du maintien de la compétitivité du Luxembourg et de sa place financière, il est cependant opportun d’imposer les actionnaires résidents sur leurs revenus effectifs. Cette façon de procéder n’affecterait pas la place financière internationale du Grand-Duché en matière d’attractivité.
Sur la base de ce principe, l’exemption des dividendes de la moitié serait à supprimer. L’exemption et l’imposition réduite des plus-values réalisées lors de la vente de participations luxembourgeoises ou étrangères ou au moment de la dissolution des sociétés seraient à supprimer, et lesdites plus-values seraient à imposer au plein taux d’impôt. Par ailleurs, ledit traitement fiscal favoriserait la thésaurisation des bénéfices et leur investissement dans l’entreprise au détriment de la distribution de bénéfices.
Finalement, dans le chef des détenteurs de parts résidents, l’idée serait de considérer tous les fonds, uniquement pour ces fins, comme des entités transparentes, et d’imposer ainsi annuellement les plus-values réalisées durant l’année civile.
1.2. Le cas des revenus provenant de biens immobiliers
Dans la catégorie du revenu provenant de la location d’immeubles, l’amortissement accéléré, qui a été entretemps freiné, devrait être aboli, et remplacé par l’amortissement général de 2 pour cent. Il en est de même de l’amortissement accéléré pour une rénovation énergétique qui devrait être remplacé intégralement par une subvention directe et remettrait par conséquent le principe de l’équité fiscale.
Sur le plan pratique, il serait nécessaire de calculer l’amortissement sur le prix d’acquisition réel de la seule construction.
En matière d’imposition des plus-values immobilières, il conviendrait de les imposer intégralement (sans taux réduit), quitte à doubler les abattements existants (y compris celui mis en compte lors de la succession en ligne directe de la résidence principale).
En ce qui concerne les sociétés immobilières, il est vrai qu’une première étape a été franchie avec l’imposition des fonds immobiliers luxembourgeois. Une autre devrait être celle d’imposer au Luxembourg les gains en capital tirés directement ou indirectement de l’aliénation de parts, d’actions, de droits ou de participations dans des sociétés, fiducies ou entités luxembourgeoises ou étrangères tirant leur valeur principalement de biens immobiliers situés au Luxembourg.
Pour la mise en œuvre d’une telle imposition, le législateur devrait insérer une disposition dans notre loi interne qui attribuerait sous ces conditions le droit d’imposition au Luxembourg. Conformes aux règles du droit international, plus particulièrement de l’OCDE, les stipulations adéquates devraient être apportées aux conventions fiscales bilatérales qui ne les renferment pas encore à l’heure actuelle.
Dans le cadre de la procédure législative relative au projet de loi sur l’impôt foncier, l’impôt à la mobilisation de terrains et l’impôt sur la non-occupation de logements, un débat devrait être tenu afin d’envisager l’imposition annuelle des plus-values immobilières dans certaines situations particulières.
2. La réintroduction d’un impôt sur le patrimoine à charge des personnes physiques
Étant donné que l’indice de Gini des fortunes est supérieur à celui des revenus, il en découle que les inégalités patrimoniales sont bien supérieures aux inégalités de revenus, et risquent de s’accélérer à terme.
La justification d’un système fiscal universel est l’appréhension de la richesse particulière dans toutes ses manifestations, qu’elle y rentre sous la forme de revenus, lorsqu’elle en sort sous forme de dépense ou qu’elle soit consolidée au sein du patrimoine du contribuable. La capacité contributive est en fait une combinaison des trois assiettes de l’impôt.
Une diversité des assiettes, par l’ajout du capital aux revenus et aux dépenses, a pour objectif de prendre en considération une aptitude supplémentaire dépassant le revenu, et visant, entre autres, des personnes ayant une importante fortune, mais ne touchant pas de revenus ou peu de revenus.
2.1. L’impôt sur la fortune mobilière
La fortune imposable devrait être composée de la fortune mobilière stricto sensu et de la fortune d’exploitation.
Feraient partie de la fortune mobilière, les comptes bancaires, les obligations, les actions ainsi que d’autres détentions de parts directement ou indirectement dans des sociétés et des fonds d’investissement luxembourgeois et étrangers. L’assiette imposable serait à réduire des dettes en relation avec les biens imposés.
Avant le calcul de l’impôt sur la fortune à payer à un taux faible de 0,5 pour cent, des abattements seraient mis en compte en fonction de la situation familiale du contribuable.
Un obstacle fondamental à l’établissement de l’impôt correct en général, et spécifiquement à l’égard d’un éventuel impôt sur la fortune représente celui du non-accès des administrations fiscales luxembourgeoises aux informations détenues par les banques au Grand-Duché.
D’abord, il y a lieu de souligner que le secret bancaire en soi n’est en fait pas critiquable, parce qu’il fait partie intégrante de la sphère privée de toute personne qui est à respecter. Par contre, il n’est pas cohérent d’imposer aux instituts financiers du Grand-Duché de transmettre tous les renseignements sur des non-résidents aux administrations fiscales étrangères et de recevoir des autres États toutes les informations sur des résidents qui y détiennent des comptes bancaires, mais de maintenir des règles de confidentialité strictes en interne.
Après que le législateur luxembourgeois a donné son feu vert à la transmission automatique des informations aux administrations fiscales étrangères, un tel accès pour les administrations fiscales luxembourgeoises sera également indispensable à une lutte efficace contre la fraude fiscale avant que la pression internationale ne devienne trop forte. Rappelons dans ce contexte que les agents du fisc sont liés par un secret fiscal très strict ayant trait au respect de la confidentialité des renseignements obtenus dans le cadre de leur activité professionnelle.
2.2. Un nouvel impôt foncier national
De prime abord. Il convient de préciser que cet impôt national ne se substituera ni à l’impôt foncier communal, ni aux nouveaux impôts projetés à la mobilisation de terrains et sur la non-occupation de logements. Ces impôts cibleront l’objectif précis de l’action énergique pour la mise sur le marché de logements en nombre suffisant. Or, le nouvel impôt foncier national serait un impôt réel qui consisterait à frapper une chose en tant que telle, à savoir les immeubles bâtis et non bâtis. Contrairement à un impôt personnel, comme le nouvel impôt sur la fortune mobilière, qui insiste sur la situation personnelle du contribuable, l’impôt réel est établi à raison du seul fait de l’existence chez cette personne physique ou morale d’une matière imposable.
Étant donné que les conventions fiscales internationales ne permettent pas en toutes circonstances d’imposer les immeubles possédés par des entités étrangères dans le cadre d’un impôt sur la fortune personnel, et, d’autre part, il n’est pas toujours évident de détecter les propriétaires finaux des immeubles arrêtés dans les bilans d’entités, un impôt foncier national, comme impôt réel, constituerait un outil nécessaire pour pouvoir englober dans le champ d’application tous les immeubles situés au Grand-Duché.
Quant à la base imposable, celle-ci serait constituée par la valeur réelle de l’immeuble, évaluée selon les règles de l’art par le propriétaire au prix qui s’obtiendrait lors de la vente de cet immeuble. De sanctions adéquates seraient à appliquer en cas de déclaration insuffisante intentionnelle.
Avant le calcul de l’impôt à raison d’un taux faible de 0,5 pour cent, les dettes y relatives seraient à déduire et des abattements seraient à prendre en considération pour l’habitation personnelle et des immeubles indispensables à l’exercice de l’activité professionnelle du contribuable.
Guy Heintz
Directeur honoraire de l’Administration des contributions directes